La Croix - « Procès et autres essais » de Julius Margolin, conscience concentrationnaire, par Antoine Perraud

 La Croix - « Procès et autres essais » de Julius Margolin, conscience concentrationnaire, par Antoine Perraud
30 juin 2016

« Procès et autres essais » de Julius Margolin, conscience concentrationnaire

ESSAIS. Ayant échappé à la Shoah et aux persécutions du Goulag, Julius Margolin s’impose, quarante-cinq ans après sa mort, en vigie des horreurs.

Julius Margolin (1900-1971), intellectuel juif ayant fui vers l’est l’invasion nazie de la Pologne, fut prisonnier des Soviétiques de 1939 à 1946 et connut le goulag. Voilà bientôt six ans, nous découvrions, stupéfaits, l’intégralité de son récit sur sa traversée de l’épreuve, grâce aux éditions Le Bruit du temps : Voyage au pays des Ze-Ka (La Croix du 24 novembre 2010).

En 2012, dans son rôle de passeuse post-mortem, Luba Jurgenson traduisait, toujours du russe et toujours pour la maison fondée par Antoine Jaccottet, Le Livre du retour. Y eut-il une vie après les camps pour Julius Margolin ? Oui, en Israël, une vie faite de combat, de témoignage et de réflexion, comme l’illustrent les écrits rassemblés aujourd’hui.

Des écrits marqués par deux procès. Celui intenté à Paris, en 1950, à l’hebdomadaire communiste Les Lettres françaises par David Rousset (1912-1997), revenu des camps nazis. L’auteur de L’Univers concentrationnaire s’impose après la guerre en pourfendeur du goulag soviétique. Au point d’être traité de « trotskiste falsificateur » par la fine fleur du PCF de l’époque – dont Pierre Daix (1922-2014).

Julius Margolin, appelé à la barre, raconte ce moment dans un texte admirable, simple et prenant, rédigé sur le vif mais publié dix-neuf ans plus tard, en 1970, confidentiellement, à Jérusalem, en russe…

Voici donc, acéré comme les épines de la rose stalinienne, Le Rapport parisien dans lequel est démonté par le menu ce mécanisme d’aveuglement mis en place par les communistes français à propos du système concentrationnaire soviétique. Le témoin-chroniqueur décrit la rouerie, l’aliénation et la perversité des commis hexagonaux de Moscou – notamment l’avocat Joë Nordmann (1910-2005).

Le récit repose sur une tension entre ces petitesses de l’action politique du moment et l’ambition démesurée que manifeste l’auteur : « Le jugement de l’Histoire ne fait que commencer et ne sera pas terminé tant que les camps existent dans le monde sous une forme ou une autre. »

Margolin ose poursuivre une comparaison riche de sens et non simplement polémique entre fascisme et communisme, en dépit de leurs antagonismes : « Il existe une haine fraternelle, une haine entre voisins, qui découle de la ressemblance des objectifs et de la rivalité de personnes proches de l’esprit », écrit-il ainsi en 1950, dans un court essai antérieur d’un an aux Origines du totalitarisme de Hannah Arendt.

A-t-il croisé celle-ci au procès Eichmann à Jérusalem, pendant l’été 1960 ? Lui y est resté de bout en bout. Ses comptes rendus d’audience, rédigés pour un journal new-yorkais destiné à l’immigration russe, se révèlent un complément indispensable à La Banalité du mal : tout y est remarquablement observé, le temps qu’il faut pour en retenir l’essentiel : « Dans la mesure où l’“ordre” prime sur toute morale, Eichmann a été et reste un nazi non repenti. »

Julius Magolin aura eu le redoutable privilège de tenir les deux bouts de la chaîne du XXe siècle.

Antoine Perraud