La Croix, Oeuvres posthumes de Philippe Jaccottet, un surplus de lumière, par Stéphane Bataillon

 La Croix, Oeuvres posthumes de Philippe Jaccottet, un surplus de lumière, par Stéphane Bataillon
18 mars 2021

La voix profonde de Philippe Jaccottet, disparu le 24 février, résonne dans trois livres tout juste posthumes, voulus par le poète.

Ses poèmes sont toujours là. Disponibles lorsque l’espace se rétrécit, que l’oxygène se raréfie, que le ciel s’assombrit à la tombée du jour sans que l’on puisse profiter de la chaleur changeante, derrière notre fenêtre où isolé par l’écran. Lui nous a quittés le 24 février dernier. Alors, lorsque trois ouvrages prévus mais, de fait, posthumes, paraissent au cœur du deuil, ouvrir les pages en silence, avec une joie d’après larmes, et retrouver trois facettes de son écriture : les notes sur l’art, les poèmes et la prose poétique.

Dans Bonjour, Monsieur Courbet, l’auteur nous entraîne dans un parcours à travers une quarantaine d’œuvres d’artistes admirés, de Piero della Francesca à Morandi, très souvent proches, comme Giacometti, son cousin par alliance, ou son ami Gérard de Palézieux. Servis par de belles reproductions, ces textes écrits pour « simplement aider à voir » mêlent les influences du poète aux couleurs des tableaux, de Hölderlin au Japon, rapportant ses souvenirs, allant jusqu’à l’intime. Présentant une aquarelle de sa femme, la peintre Anne-Marie Jaccottet, il constate, amoureux, « l’un et l’autre, nous avons très tôt eu la certitude que nous ferions ce que l’un et l’autre nous avons fait, tant bien que mal, chacun dans son domaine ; et sans nous poser à ce sujet beaucoup de questions. […] Don […] de manier l’une des formes et des couleurs, l’autre des mots. »

L’ombre nécessaire à un trop radieux soleil

Des mots en majesté avec Le Dernier Livre de Madrigaux, dans lequel Jaccottet reprend une ancienne forme poétique courte, galante et spirituelle, venue d’Italie, pour chanter sous l’égide de Dante un émerveillement inquiet qu’il nous invite à partager dans un banquet final et mystérieux. « Abeilles, accourez broder de braise ces robes / ou ces paupières, ou ces lèvres, ou ce cou, // puis, moins brûlantes mais non moins dorées, / éparpillez-vous sur toute la soie de la nuit. »

Le tintement de la cloche des vêpres

La Clarté de Notre-Dame recèle peut-être les paroles les plus cristallines. Ce très court livre relate une promenade de mars 2011 aux abords du couvent situé non loin de Grignan, où il s’était installé depuis 1953. Le tintement de la cloche pour les vêpres lui fait faire retour sur le poème de ses vingt ans, Requiem, sur les montagnes vaudoises de son enfance, sur son éloignement respectueux de la religion et son attachement profond aux lieux sacrés.

Une émotion avec « si peu de bruits » qu’il faut la garder vivante « comme un oiseau dans la paume de la main ». Un tintement clair et tendre, propre à calmer les doutes, l’angoisse obsédante de la mort. Il se saisit du contraste entre sa « longue vie incroyablement abrité » et les horreurs du temps. Des maquisards assassinés du Vercors d’hier aux torturés en Syrie. Toujours la question de la fin, de l’impuissance. À part celle de recueillir les signes infimes du monde pour faire rempart, d’un poème, aux cris.

À la tombée du jour, Jaccottet livre son haïku préféré. « Les voyageurs / demandant si la nuit est froide / avec des voix endormies. » Il achève la traversée avec cette forme japonaise condensée, si proche de sa poésie, espoir frémissant d’une parole à venir avec la conscience de la finitude incluse dans la contemplation même. D’un tableau de maître, d’une hirondelle familière, ou d’une « petite cloche grêle qui tintait sous la neige » pour annoncer l’arrivée au portail d’un jardin.

Par Stéphane Bataillon