Le Matricule des Anges, Recension par Eric Dussert

 Le Matricule des Anges, Recension par Eric Dussert
07 juin 2021

Avec la reparution de Rodmoor, le grand roman de John Cowper Powys (1872-1963), Patrick Reumaux voit ses efforts de traducteur justifiés par le temps. Devant la force de son évidence, l’œuvre de l’Anglais accueille un lectorat toujours plus dense. Construction gigantesque, précise, prenante comme la plupart des romans de Powys, Rodmoor (1916) apparaît comme une tentative syncrétique de projeter les êtres dans la matière du monde, obéissant aux lois d’une cosmogonie personnelle, architecturée par les sévères névroses de leur auteur, obsessionnel et terriblement angoissé. Indices de la variété des éléments qui ont été fondus pour forger Rodmoor, ode à la lande d’East Anglia, dont le nom un peu sinistre n’est pas sans rimer avec Nevermore et finirait même par rappeler Rosebud… Etudiant l’état d’esprit de son personnage principal, Adrian Sorio, son alter ego venu d’Amérique qui passe d’un comportement mondain à des crises de démence, Powys enregistre la tragédie qui couve sous le ciel gris de ce bord de mer. Là, sans fin, les vagues battent la côte comme un avertissement sourd à l’attention d’une petite communauté soumise à l’influence oppressante de cet environnement. « Nance jeta un coup d’œil au-dessus du parapet et, dans l’état dépressif où elle se trouvait, se vit noyée, dérivant, face vers le ciel, dans le courant. »

Powys songeait à Emily Brontë en tressant ce livre de la lande où la grisaille, l’humidité et la solitude empoignent les personnages déjà ballotés dans le grand remue-ménage des marées incessantes. La mer, avec son « murmure bas, tiré des profondeurs, monotonement réitéré et d’une monotonie menaçante » détermine les mouvements de ces êtres tendus vers une résolution de leur vie, détruisant au passage toute possibilité de bonheur… Powys offre avec Rodmoor un chef-d’œuvre du roman psychologique anglais, une marqueterie magistrale où sa subtile perception de l’originalité chaotique des êtres sonne d’imparables glas annoncés par les éléments. »

Par Eric Dussert