Michel Volkovitch - Pages d'écriture

 Michel Volkovitch - Pages d'écriture
01 novembre 2025

Michel Volkovitch

BRÈVES / N°265 novembre 2025

Les gens lisent de moins en moins, mais certains jours on pourrait presque l'oublier. Au Salon du livre de la métropole Aix-Marseille, par exemple, où à la mi-octobre, dans le cadre imposant de la citadelle dominant le Vieux-Port, on a vu débouler 15 000 personnes attirées par une foule d'animations diverses. Les organisateurs ont eu fort à faire, et l'ont fort bien fait.

L'invitée de cette année : la Grèce ! Étaient présents Costa-Gavras, plusieurs écrivains dont mes chers Ikonòmou et Palavos, (Màrkaris n'a pu venir, hélas) et une flopée de traducteurs.

Le Miel des anges avait son stand et n'a pas trop mal vendu (une soixantaine de livres, soit un acheteur sur 250 visiteurs), l'essentiel étant les échanges avec ceux, a priori fort sympathiques, qui s'arrêtent pour acheter ou simplement papoter. Faire partie de la même petite confrérie philhellène, cela crée aussitôt un lien, et baratiner pour écouler sa camelote, raconter surtout son travail solitaire, ça fait du bien, que le chaland achète ou pas.

Mais la cause principale de notre présence à Marseille, c'est le Prix du Salon de la métropole qui est allé à l'un de nos ouvrages, co-traduit avec Hélène Zervas : Le dernier des ours, d'Àkis Papantònis. Le livre avait déjà reçu les deux prix grecs les plus prestigieux. Qu'il est doux de voir notre travail officiellement reconnu, alors même que certains, depuis quelques années, s'évertuent à dresser autour de lui un mur de silence.

La Grèce toujours, avec une publication majeure : le second volume du journal de Yòrgos Sefèris, Journées 1945-1971, traduit par Gilles Ortlieb, au Bruit du temps. Un monument : 900 pages compactes, une foule de notes, une bio-bibliographie copieuse, un index des personnages, travail éditorial gigantesque pour un texte qui le nécessite et le mérite amplement.

C'est un journal sinon intime, du moins personnel : en même temps que l'actualité qu'il commente, le grand poète sa vie professionnelle de diplomate, ses voyages, ses rencontres (Eliot, Saint-John Perse, Bonnefoy...), son travail d'écrivain, certains de ses états d'âme. Pour qui écrit-il toutes ces pages, tout au long de sa vie ? Il sait assez tôt qu'elles seront publiées, et on sent parfois qu'il le sait, mais tout en écrivant pour nous il continue d'écrire pour lui-même, sans prendre la pose, avec une simplicité qui est l'un de ses charmes.

On peut lire dans ces Journées le portrait d'un homme passionnant, attachant, qui ne cache pas ses moments de fatigue, de faiblesse, de solitude.

Si je regarde en arrière, je vois un isolement à peu près absolu (et qui aura duré quasiment toute la vie). (Je veux parler de solitude intellectuelle.) (1962)

Une solitude qui vient en grande partie du fait d'être grec à l'étranger, où son métier l'a amené à vivre si longtemps, en même temps qu'étranger en Grèce, ayant grandi en Asie Mineure et vécu en Grèce continentale après sa retraite seulement. La Grèce ne cesse de le tourmenter :

On ne peut s'empêcher de déplorer amèrement l'absence d'une école de la pensée en Grèce. Nous disons tout ce qui nous passe par la tête en toute gratuité, sans le moindre contrôle. (1958)

Ou bien :

Plus j'y pense, plus je me dis que je dois être une erreur dans la littérature grecque. (1962)

Les lecteurs de sa poésie (qui est l'essentiel) pourront méditer ses fréquentes remarques sur le travail poétique. En terminant La grive :

Je me sens encore tout contusionné par le poème. (1946)

Et plus loin :

Inimaginable, l'acharnement que cela demande, pour voir les choses les plus simples. L'acharnement dont il faut faire preuve, pour écrire un seul vers. (1946)

Ce qui a le plus compté dans sa vie :

Écrire une phrase juste, voire un seul mot juste. (1963)

Enfin, ces pages de prose, parfois un peu longuettes, sont illuminées sans cesse par des éclairs de poésie :

Mer absolument étale. L'impression que c'est de la soie qui respire. (1966)

Ou les choristes lors d'un concert :

Chacun n'était plus qu'un brin de paille dans cet immense incendie. (1962)

Mais ce dont il parle le plus, et le mieux, c'est la lumière :

Le soleil lissait l'herbe verte avec un peigne d'or.

Après avoir nagé : la lumière est telle qu'elle t'absorbe comme de l'encre sous un buvard : elle absorbe la personnalité. (1946)

Tout cela, tous ces soucis qui nous harcèlent : insolubles, insupportables, tout ce qu'on voudra. Et pourtant, quand je sors dans la lumière, lorsque je ne vois pas les hommes, un état d'ébriété, quelque chose de ce pays me pénètre jusqu'aux entrailles ; un vagabond hébété, voilà ce que je suis. (1945)