Le Temps "Être au monde", par Lisbeth Kouttchoumoff

 Le Temps "Être au monde", par Lisbeth Kouttchoumoff
21 2019

Être au monde

En 2017, Amaury Nauroy signait Rondes de nuit, une pépite sur l’éditeur Henry-Louis Mermod, sa famille d’auteurs, de Ramuz à Jaccottet. Et sur la joie de créer.

Si les livres avaient une couleur, Rondes de nuit d’Amaury Nauroy serait mordoré, c’est-à-dire brun chaud avec des éclats d’or. C’est précisément la lumière qui se dégage du célèbre tableau de Rembrandt, La Ronde de nuit, où l’on voit, au centre, deux hommes en grande tenue de bataille, entourés par une compagnie en armes. Et en bas, sur la gauche, une petite fille en robe jaune pâle qui a l’air sortie d’un songe et qui observe la scène, étonnée.

Amaury Nauroy, qui décrit la toile au début de son livre, se reconnaît dans ce personnage d’enfant qui se retrouve d’un coup sur une scène immense. L’auteur, qui signe ici son premier livre, est né en 1982 à 60 kilomètres de Paris. Il a découvert la Suisse romande par son travail dans l’édition, faisant de nombreuses navettes Paris-Lausanne et retour. C’est ainsi qu’il a découvert toute une compagnie de poètes et d’écrivains (Gustave Roud, Philippe Jaccottet, Jacques Chessex, Cingria, Ramuz) avec, au centre, la figure d’un éditeur, esthète et passionné, qui les a publiés et accompagnés : Henry-Louis Mermod, le « Gaston Gallimard helvétique ».

Si Rondes de nuit débute par une série de portraits, d’une finesse remarquable, le livre gagne en ampleur et se transforme petit à petit en roman de formation : l’auteur grandit (et nous avec) en allant à la rencontre des artistes, poètes ou peintres, à Lausanne ou à Grignan, dans la Drôme. Car ce qu’il cherche, en leur rendant visite, chez eux comme dans leurs ateliers, c’est de comprendre ce qui les met en mouvement, d’où naît la flamme, cette joie, cet enthousiasme qui fait qu’ils ou elles, septuagénaires ou octogénaires, blocs de vie et d’expérience, se lèvent chaque matin pour écrire ou peindre malgré le poids des années et les maux du corps.

Beauté vive

Au bout du compte, au terme des dix années qu’aura exigé le livre, le jeune homme qui écarquillait les yeux devant le tableau est devenu un écrivain, celui qui peut, dans la profondeur du temps et par la grâce des mots, relier les vivants et les morts. C’est donc bien une leçon de vie, d’une beauté vive comme le reflet du soleil dans la neige, qui se dégage de ce parcours. Rondes de nuit est un livre inoubliable, irradiant d’une lumière qui donne de l’espoir.

Par Lisbeth Koutchoumoff