Shakespeare et son critique Brandès, publié en 1898, est le premier livre de Léon Chestov, le seul de lui qui n’avait encore jamais été traduit en français.

Quarante années après sa parution, peu avant sa mort, Chestov a raconté lui-même la genèse de ce texte, né de la colère que lui inspirèrent les écrits du critique rationaliste danois Georg Brandès consacrés à Shakespeare, alors que lui-même était encore bouleversé par la lecture des œuvres du dramaturge anglais.

 Indigné par ce critique « qui glissait à la surface des choses » et que Macbeth, Lear ou Hamlet « n’empêchaient pas de dormir », réfutant les interprétations de ce positiviste esthète, Chestov donne sa propre lecture de quelques pièces de Shakespeare : Hamlet, qu’il voit comme l’apprentissage de la réalité de la vie face aux abstractions de la pensée, Jules César, où Brutus apparaît comme un anti-Hamlet : un philosophe qui n’a pas rompu avec la vie et qu'aucune construction intellectuelle ne peut entraîner dans ces sphères abstraites où l’homme se transforme en concept, Coriolan, où il réfute une interprétation nietzschénne mal assimilée de Shakespeare, mais aussi Le Roi Lear et Macbeth.

Il esquisse déjà, ce faisant, les grandes lignes de ce que sera son combat philosophique : aller au rebours de toute la tradition née du stoïcisme grec. La nécessité, la raison ne sont pas en mesure de répondre aux questions des hommes dès lors que, comme Job, ils sont confrontés à la tragédie. Il s’agit pour lui, dans ce livre, de montrer que les héros shakespeariens, contrairement à ce qu’affirment Taine et ses disciples, ne peuvent pas « entrer dans la chaîne des phénomènes », n’obéissent pas aux lois immuables de la science. Ces pages du jeune Chestov, emplies d’une salubre indignation, nous paraissent aussi vibrantes, aussi persuasives et nécessaires qu’au jour où elles ont été écrites il y a plus d’un siècle.

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