En librairie depuis le 1er mars 2024
24 euros
UNE DÉFENSE ET ILLUSTRATION DE LA LITTÉRATURE
Les trente essais que Cécile Wajsbrot a réunis ici ont été écrits pour des publications en revue, ou lus à l’occasion de colloques en Allemagne, en France et dans d’autres pays d’Europe au cours de ce nouveau siècle. Aussi divers qu’ils soient en apparence, par leurs sujets — d’un voyage en Corée à un trajet entre Dresde et Francfort, du Grand Meaulnes à un roman de Christa Wolf, de Victor Hugo à Imre Kertesz, du Conte du Graal à la science-fiction — ce qui frappe, à leur lecture, c’est la cohérence d’une réflexion sur l’art du roman que Cécile Wajsbrot avait déjà exposée dans Pour la littérature publié aux éditions Zulma en 1970, et qu’elle ne cesse depuis d’approfondir et d’enrichir de son expérience de romancière. De par ses origines et son histoire familiale — la mort à Auschwitz de son grand-père arrêté à Paris par la police française lors d’une rafle — l’auteur de Beaune la Rolande et de Mémorial a fait dès l’enfance l’expérience indélébile du décalage entre le discours offi- ciel sur la résistance qu’on lui enseignait à l’école et le récit familial qu’elle entendait à la maison. Ce qui l’a amenée très tôt à s’interroger sur le silence dont à ses yeux, s’est rendue coupable, en France toute la littérature de l’après-guerre : « Après la catastrophe, après Auschwitz, ceux qui ne voulaient rien savoir et détournaient les yeux et ceux dont la confiance en l’humanité avait volé en éclat — se rejoignaient dans un même silence et dans un même soupçon, mettant en doute en littérature — et plus précisément dans le roman le personnage, l’intrigue, l’histoire, pour ne sauver que le langage. Autrement dit, par intérêt ou par désolation, ceux qui n’avaient “rien vu à Hiroshima” — pour reprendre la phrase de Duras — et ceux qui avaient tout vu érigeaient autour de la question de la responsabilité, individuelle et collective, un grand mur de silence et continuaient d’écrire à l’abri de ce rempart, préservant ainsi leur tranquillité ou leur équilibre précaire. » À partir de ce constat, — et du fait qu’il en est allé autrement en Allemagne, d’où vient le sentiment que l’auteur se sent plus chez elle à Berlin qu’à Paris — il s’agit, inlassablement, de déterminer ce que peut et doit être la littérature pour la génération de ceux qui sont venus « après-coup », c’est-à-dire qui n’ont connu Auschwitz qu’à travers les témoins. Et donc pour Cécile Wajsbrot, de mettre fin à l’ère du soupçon, de faire à nouveau confiance à la littérature telle qu’elle s’est constituée depuis des siècles — de Pline faisant le récit de l’éruption du Vésuve à Svetlana Alexeievitch témoignant de celle de Tchernobyl — et à sa capacité de faire face à l’événement, de dire la catastrophe. « Le jour d’après », dans l’essai qui donne son titre à ce recueil, c’est le jour d’après les événements (en l’occurrence ceux du Bataclan à Paris, en novembre 2015), et c’est la question qui se pose à l’écrivain lorsque l’événement vous fixe et vous pétrifie et vient frapper d’inanité, temporairement, votre travail en vidant les mots de leur sens. Et la réponse, c’est bien le recours à la littérature, admettre que l’unique ressource, ce sont les mots déjà écrits, les livres de la bibliothèque, plonger « dans les eaux profondes de la littérature » : « À l’écoute de cette autre musique, cette musique nécessaire, nous pourrons alors faire abstraction de la musique facile entonnée par l’air du temps. Ce sera la parole magique qui fera sortir du cercle ensorcelé des mots et des pensées obligées, qui donnera une autre mesure de la langue et du temps. »
Pour laisser un commentaire, veuillez vous connecter à votre compte client.